vendredi 4 avril 2014

RIP in Cambodia

J'étais pas sûr de raconter ça ici. Avec le recul, ça devient presque anecdotique. J'avais commencé quelque chose sans trop de détail, puis finalement décidé de tout mettre, pour les quelques éléments surréalistes de l'affaire, pour la mémoire, et, malgré tout, en préface, pour l'occasion unique de lever le voile sur un moment émouvant de ma tendre enfance... Mon psy sera content de lire ça et on se débarrasse des curieux dès les premiers paragraphes.

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Sûrement plus chanceux que la moyenne, le seul cadavre non embaumé que j'ai vu de près avec émotions s'appelait Biscuit. Juste après les olympiques. J'ai failli l'appeler Nadia mais c'était un petit gars poilu, pas roumain ni soviétique, plutôt doré (vous lirez sur le sujet), pas bon du tout en gymnastique, plutôt champion de spinning avant que ce soit à la mode, nocturne surtout, et il était pas beaucoup plus gros qu'un fudgee-o, avant les double-crème. Trouvé mort un beau matin, quatre pattes en l'air, sec comme un balai, ou comme une table de pool à Uis, Namibie. L'enquête a été menée assez rondement. Pas d'autopsie. Conclusion évidente de l'infirmière légiste en chef présente dans la salle, en voyant l'abreuvoir compte-gouttes vide: "Déficit d'eau menant à la mort par déshydratation". Malgré la longueur du mot, j'ai immédiatement plaidé coupable d'hamstéricide involontaire et je m'en suis tiré avec une sentence de 111 ans d'allergies diverses, avec libération conditionnelle partielle au tiers de la peine. Sans appel. Pour ceux qui me connaissent, qui savent compter et qui sont pas complètement nuls en olympiques, ça vous explique au moins une chose récente à mon sujet. Pour les autres, je sais pas ce que vous avez tapé ou cliqué pour être ici, mais vous perdez clairement votre temps sur la mauvaise page web.

J'ai appris au moins 4-5 trucs ce jour-là: 1- qu'un hamster en pleine croissance est composé à 72% d'eau et que le 28% restant est nettement insuffisant pour passer quelques jours sans; 2- que l'eau s'évapore et qu'un hamster fuit; 3- qu'un jour je saurai ce que signifie le mot procrastination, mais qu'en attendant, vaut mieux pas trop attendre à demain; 4- qu'un cadavre de hamster sec, ça sent pas grand chose.

Je vous raconte ça pour faire mon comique évidemment, et pour vous accrocher un sourire avant la suite tragique qui a rien, ou très très peu, à voir finalement.

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Le seul cadavre non embaumé que j'ai eu la chance de ne pas voir, c'était il y a presqu'un mois. 

Île de Koh Ta Kiev, Cambodge. 
En ordre, sur la plage, il y a les bungalows de Ten103, de Koh Ta Kiev et de Crusoe Island. Entre 10 et 20 minutes de marche entre les 3. Et à Ten103, une distillerie d'absynthe (photos sur flickr, voir le lien Florida+ à droite). Pas encore de route praticable, ni d'auto, de tuktuk ou de mobilettes. Mais ça va venir, et vite. Un début de route, d'autoroute de 30m de large en fait, est en construction depuis un bon bout déjà. Les Chinois arrivent. Des casinos, des terrains de golf et même un pont jusqu'à la terre ferme. On rase tout. Les bungalows devront bouger ailleurs. Mais pour l'instant, que la plage, la jungle, quelques sentiers et les cicatrices du déboisement annonçant le futur Vegas. Dur à croire que on voit l'allure paradisiaque actuelle. 
Je suis venu suite à une suggestion de Simon (nom fictif... il s'appelle Gérard en fait), le Québécois sympathique rencontré dans le bus à Ban Lung, celui qui n'habite pas en face de chez moi. Il est sur l'île depuis 2 ou 3 jours quand j'arrive au Ten103. Mon 1er ghetto de backpackers du voyage. Je me gâte avec le bungalow dans les arbres deluxe perché su'l bord de l'eau, 25$. Soirée à jaser, manger et boire sur la terrasse et au bar, avec du bon monde, principalement un couple de Hollandais, une Portugaise, un Israélien, une Anglaise et un Québécois, et le staff de voyageurs américains qui collent là pour travailler logés, nourris, gelés. C'est le salaire. Le lendemain après-midi, on se retrouve les gars de la même gang à jouer au frisbee pendant une heure ou deux dans le pas-creux, à 100 pieds au large. L'eau est chaude comme le soleil, qui est jaune comme le frisbee à Simon. Environ 15h, je me retire prendre une douche, lire et micronapper un brin. Plus en vacances que ça...
Simon et Jasper le Hollandais sont encore sur la plage, se mettent à ramasser du bois pour le feu de grève de la soirée, rentrent dans le bois, se disent que ça sent le crisse, ou le yâbe, et tombent sur le porté-disparu que les Français des Koh Ta Kiev Bungalows cherchent depuis 3 jours. Pendu. Trois jours dans la jungle tropicale. Je vous laisse imaginer la scène ou repenser à une douzaine de films d'horreur, sur l'air de "Holidays in Cambodia". Pendu avec vue sur la plage et l'eau, juste en face d'où tout le monde se baigne tout le temps sans se douter de rien. Moi le 1er, 3 fois plutôt qu'une.
Les gars sont pas restés longtemps, vous pensez bien. Ils sont allés avertir le staff de Ten103. 

Après, ça dégénère en gestion de cadavre assez absurde. Je m'en suis pas vraiment mêlé, alors je raconte un peu tout croche, mais ça ressemble à ça. Les militaires de la base pas loin ont été alertés. Puis la police locale. Le suicidé avait laissé ses affaires aux Koh Ta Kiev où il logeait, passeport et journal intime compris, et on ne l'avait plus revu après le gros party sur la plage. 
Simon a raconté sa découverte à la police, ou l'armée, et a eu accès au journal, ce qui est déjà étrange, mais qui nous renseigne au moins.
Suicide prémédité finalement.
Un marines qui s'est promené aux 4 coins du monde en sous-marin. De quoi faire un blockbuster.
Il notait avec une précision maladive tout ce qu'il faisait depuis des mois (ben non, pas dans un blog de voyage... dans son journal "intime").
Il a écrit une note d'excuse pour ses parents et pour le gérard qui le trouvera pendu. C'est ça de réglé, c'est pas un meurtre. Mais Hollywood pourrait arranger ça assez facilement, d'ailleurs dans la seule mention du drame que j'ai trouvée sur internet, un quidam commente en disant qu'il "paraît" que le pendu avait les mains attachées... les rumeurs partent comme ça. Les scénarios de films aussi.

Pendant les heures suivantes, la police et l'armée s'obstinent sur la plage avec le staff des bungalows à savoir qui doit prendre la responsabilité du cadavre, toujours accroché, occupé à se faire bouffer dans l'arbre, à portée de nez.
"Il restait dans les bungalows, alors ça devrait être le staff."
"Il avait "checké-out" alors ça devrait être la police."
"Il avait laissé ses affaires, alors il avait pas vraiment checké-out.
"Il était sur l'île alors ça devrait être l'armée." Et ainsi de suite. 
N'importe quoi.  

Pendant qu'on soupait, Simon est retourné sur la plage voir comment ça se passait. Il est revenu au bout de 20 minutes me demander le numéro de téléphone de l'ambassade américaine. Ni la police ni l'armée était capable de le trouver. Ça a pris le lonely planet.

Quand le soleil est tombé à l'eau, il restait un ruban de police bloquant l'accès à la jungle sur une quinzaine de mètres, un corps dans un arbre, un garde pas loin sur la plage.

Après le souper, on a décidé de faire le feu malgré tout. Question de se changer les idées. Sans trop rentrer dans la jungle pour le bois. Plus près du Ten103, mais sur la même plage. À 300m mettons. Belle soirée d'été tropical. Ça crépite. Fait noir. Puis 3-4 lumières accostent sur la plage côté cadavre. Et ça bourdonnent dans le secteur pendant quelques heures. 

Sur le bord du feu, on a tous pensé qu'ils venaient chercher le corps de nuit, pour pas créer trop d'émoi. Logique. L'ambassade aurait appelé la police de Phnom Penh qui aurait appelé la police locale de Sihanoukville, qui aurait violemment raccroché en tenant des propos ostentato-blasphématoires, pris des flottes pis des calottes, le kodak, le laptop, l'interprète, deux boîtes de gants en latex, des masques, un très grand sac en plastique avec un zipper, un couteau et embarqué dans un bateau à 10h du soir un samedi. De quoi blasphémer.

Je me souviens plus de l'heure, mais avant minuit. Simon est parti se coucher et des bonhommes de la gang aux frontales passent à côté du feu, nous disent "hello, Immigration Police", serrent la main à tout le monde, même au jeune américain qui jongle pour cacher son joint, et poursuivent leur chemin vers les bungalows. Sans doute parce que la police locale était déjà passée dans l'après-midi, c'est tombé sur le bureau de la police de l'immigration finalement. Elle a dû sacrer pareil, l'Immigration. Pourtant ça paraissait pas vraiment dans les salutations. En revenant des bungalows, ils semblaient pas trop préoccupés quand je leur ai lâché un "Good?". La réponse est venue assez sèche: "Not good!". 

 Quand on est allés se coucher vers 1h du mat'. c'était pas encore terminé. Il y a finalement une vingtaine de policiers qui ont passé la soirée et peut-être la nuit sur la plage. De loin, on savait pas trop ce qui se passait, surtout qu'on voyait seulement les 3-4 frontales pour toute une gang. Jusqu'à ce que quelqu'un vienne chercher Jasper pour qu'il refasse sa déposition. L'explication qu'on a donné sur l'impossibilité de Simon de témoigner a semblé satisfaire tout le monde: "Il est parti se coucher..." Alors Jasper part avec Bobby. On attend un bon moment. Puis Bobby revient au feu en disant que c'est long, que personne s'occupe de lui mais que Jasper n'a pas encore fait sa déposition et qu'il doit rester là-bas. Après un moment, avec la blonde de Jasper qui s'inquiète, on se ramasse tous autour des policiers qui se sont installés encore à la même place sur la plage, à 100 pieds du cadavre. En arrivant, le choc de l'odeur fesse, intense. Le pire, c'est qu'on s'habitue... sauf quand on repense deux secondes d'où ça vient.
Ils reprennent tous les témoignages de tout le monde. Il y a des policiers un peu à l'écart qui jouent avec le kodak, le laptop et les photos qu'ils viennent de prendre. D'autres avec les gants en latex qui bâillent. Et un accroupi qui écrit en khmer ce que lui raconte un traducteur qui traduit à mesure ce que lui raconte le témoin interrogé. Une fois écrite en khmer, la déposition est relue et, aussi simultanément que lentement, traduite à haute voix par le traducteur de la police pour que le témoin sache ce qui a été écrit. Puis signature de la déposition en khmer pas lisible par le témoin avec empreinte poucitale. Ça a duré des heures. Après le témoignage de Jasper, on est allés se coucher en laissant les policiers jouer à la police.

Pas bien dormi dans mon hamac-moustiquaire à 6$, près du sentier, sur le bord de la jungle. Mon bungalow perché n'était pas disponible pour 2 soirs. Quand je me suis réveillé à 6h30 le lendemain, un gars passait dans le sentier en direction de la plage. J'ai suivi, j'allais me baigner de toute façon... pas à l'endroit habituel évidemment. Il est allé remplacer les chandelles à côté du ruban de la police et faire une courte prière. 
Le corps avait pas bougé.
L'odeur de crisse, ou de yâbe, non plus.

Fin de la partie connue de l'histoire. J'ai quitté l'île avec Gérard (oups, Simon) sur le bateau de 9h, comme prévu. Si ça se trouve, le corps est peut-être resté là. En paix? Pas sûr.

Voilà bien des détails pour la seule tragédie du voyage. Quand même absurde que la seule mort dont j'ai eu connaissance est celle d'un marines sous-marinier désespéré, alors que j'aurais pu, ou dû, voir des milliers de personnes se faire passer dessus dans le trafic, écraser sur un bumper par une camry ou juste crasher en mobilette. 

1 commentaire:

  1. Wow....je reviens ici pour prendre des nouvelles et lire les aventures de KE et ca commence comme ca...... Histories de cadavres pendus....j'ai de la lecture a faire...! J'espere que ca va bien ..xoxox

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